Une France très protectrice

Kim a bénéficié de soutiens politiques et obtenu la naturalisation en 1987.

Par Philippe GRANGEREAU et Michel TEMMAN

lundi 07 mars 2005 (Liberation - 06:00)
source : http://www.liberation.fr/page.php?Article=280452

Kim Woo-choong, l'ancien PDG et fondateur de Daewoo, recherché par Interpol depuis quatre ans, dispose de nombreux appuis politiques en France. C'est en 1985 que "Chairman Kim" est introduit dans l'Hexagone. Les premiers contacts se font sous l'impulsion de Gérard Longuet, président du conseil régional de Lorraine. Ils se poursuivent l'année suivante à Séoul, à l'occasion d'une rencontre entre le PDG de Daewoo et Jacques Chirac, alors Premier ministre. Les deux hommes deviennent très proches et se rencontrent régulièrement lors des déplacements de Chirac en Asie ou de Kim en France. C'est à cette époque-là que Kim, qui ne parle pourtant pas un traître mot de français, est discrètement naturalisé français avec sa femme et ses deux enfants ? comme l'avait révélé Libération (13 mars 2003).

Services rendus. Les décrets de sa naturalisation datent du 2 avril 1987. Ils sont signés par Philippe Séguin, alors ministre des Affaires sociales. Cette naturalisation a été accordée au titre de services exceptionnels rendus à la France. De quelle nature peut être ce service exceptionnel ? L'ouverture, en 1987, de la petite usine Daewoo de fours à micro-ondes de Villers-la-Montagne (Meurthe-et-Moselle), subventionnée à 33 % par l'Etat, est-elle une raison suffisante ? Kim se voit octroyer par la suite d'autres marques de bienveillance. Notamment de la part du Premier ministre RPR Alain Juppé, qui l'a fait commandeur de la Légion d'honneur le 28 mai 1996. Dans son discours, Juppé omet de mentionner qu'il est français. C'est aussi Juppé qui, à la surprise générale, retient en 1996 la candidature Lagardère-Daewoo pour l'achat de Thomson Multimédia, en arguant que le premier groupe français de l'électronique vaut 1 franc symbolique. La commission de privatisation refusera d'entériner ce choix. Quelques années plus tard, l'entreprise était rétablie.

Le fait d'être français est devenu une vraie protection pour Kim, la France n'extradant pas ses citoyens. Cette particularité bloque l'action d'Interpol. L'organisation a bien transmis son ordre d'arrestation, en mars 2001, à la France comme aux autres pays membres d'Interpol. Paris a, comme le veut la procédure, sollicité auprès des autorités sud-coréennes le dossier à charge de Kim, afin de l'examiner avant de donner son aval. Mais Séoul n'a, depuis, rien transmis et l'affaire est au point mort.

Prison. En Corée du Sud aussi, note une source proche de la police sud-coréenne, Kim bénéficie de nombreux soutiens. Le milliardaire, qui avait érigé le pot-de-vin en véritable stratégie d'implantation, avait déjà été pris la main dans le sac, en 1995, et condamné à la prison pour avoir versé des prébendes en 1989-1993 au président sud-coréen Roh Tae-woo, afin de remporter des contrats publics. Les autorités avaient par la suite suspendu sa peine, en saluant ses contributions à l'économie nationale.


L'ex-PDG de Daewoo, fiché par Interpol, joue tranquillement l'intermédiaire pour la société française Lohr... jusqu'en Corée du Sud où il est poursuivi pour escroquerie.

Monsieur Kim, recherché dans le monde entier, VRP en Alsace

Par Thomas CALINON et Michel TEMMAN

lundi 07 mars 2005 (Liberation - 06:00)
source : http://www.liberation.fr/page.php?Article=280450

A Strasbourg, à Tokyo

Kim Woo-choong a retrouvé un job. L'ancien PDG du conglomérat sud-coréen Daewoo, en fuite depuis la faillite du groupe en 1999, est désormais rémunéré pour des activités de conseil par la société française Lohr, implantée à Duppigheim (Bas-Rhin). L'information, révélée au détour d'une tribune libre publiée dans le quotidien l'Humanité en janvier, a été confirmée à Libération par Robert Lohr, fondateur et PDG du groupe, qui fabrique des tramways ainsi que des remorques et des wagons pour le transport de voitures.

"Nous avons des ambitions en Corée du Sud, où trois villes, dont Séoul et Pusan, souhaitent acheter des tramways, explique Robert Lohr. Depuis un an et demi, monsieur Kim a une mission qui consiste à nous introduire en Corée. Il conseille notre groupe en vue de nouer un partenariat industriel avec une société locale pour l'assemblage final de nos rames de tramway. Grâce à lui, nous sommes actuellement en négociation avec trois industriels locaux."

Contrairement à ce qu'indiquait l'Humanité, Kim Woo-choong ne serait donc pas appointé pour vendre des blindés légers en Asie (la société Soframe, filiale de Lohr, détient les activités militaires du groupe). Sa mission consisterait uniquement à faciliter l'introduction de Lohr sur le marché sud-coréen du tramway.

Liste rouge. Reste une question. Dans quelles conditions Kim Woo-choong, alias "Chairman Kim", peut-il s'acquitter de sa mission ? "Il ne donne pas l'impression d'être poursuivi ou de se cacher. Je le vois au grand jour", affirme Robert Lohr. Ce dernier assure avoir rencontré Kim Woo-choong à trois reprises au moins depuis le début de leur collaboration en 2003 : à Duppigheim, à Francfort et... en Corée du Sud, "à Séoul, entre fin 2003 et début 2004, dans un endroit public et sûrement pas dans une arrière-boutique", précise le patron français.

Pourtant, officiellement, le fondateur de Daewoo, âgé de 68 ans, est recherché par toutes les polices du monde et en premier lieu par la police sud-coréenne depuis mars 2001. La justice du pays le soupçonne de fraudes comptables massives et de détournement de fonds à des fins personnelles. La facture de l'escroquerie pourrait dépasser 2,2 milliards de dollars (1,66 milliard d'euros). En 2003, son nom figurait sur la liste rouge, publiée sur l'Internet, des personnes les plus recherchées par Interpol. Curieusement, on ne l'y trouve plus. Selon Interpol, "Chairman Kim" n'a pas été rayé de la liste rouge, mais a juste été enlevé du site. Par qui ? Selon la procédure en vigueur, il semble que seule la Corée du Sud avait la possibilité de demander à Interpol de retirer le nom de son site.

A Séoul, la nouvelle que Kim Woo-choong ait pu rentrer au pays incognito laisse de nombreux observateurs perplexes. "C'est hautement improbable", estime une source proche de la NPA, l'agence nationale de police sud-coréenne. "S'il a pu revenir en Corée, ce serait forcément le fait d'un marchandage avec les plus hautes autorités du pays. Certes, des rumeurs ont fait état qu'une négociation était en marche. A-t-elle déjà eu lieu ? En tout cas, elle n'a jamais été rendue publique."

Pardon. Seule certitude : la police sud-coréenne est convaincue que le fondateur de Daewoo était en Corée du Nord, à Pyongyang, il y a environ un mois. Très probablement pour voyage d'affaires. Avec la politique volontariste engagée par Séoul pour attirer les investissements et ramener la confiance au sein des milieux d'affaires, pardonner Kim Woo-choong est tout à fait possible. Récemment, il y a une tendance au pardon en Corée. On gracie d'anciens corrompus", assure un homme d'affaires européen présent à Séoul.

Au KCTU, la confédération syndicale coréenne, la colère n'est toujours pas retombée. En 2001, les syndicalistes de Daewoo s'étaient rendus en France dans l'espoir d'y retrouver leur ancien PDG et sa famille, qui avaient tous obtenu, en 1987, la nationalité française (lire ci-dessous). Sans succès. En janvier 2003, peu après l'incendie de l'usine Daewoo de Mont-Saint-Martin, symbole de la fin de l'aventure coréenne en Lorraine, ils apprenaient que Kim Woo-choong avait obtenu un numéro de Sécurité sociale. C'est ce numéro qui permet aujourd'hui à Robert Lohr de lui verser une rémunération fixe en France, déclarée aux impôts et tout".

Robert Lohr se dit satisfait du travail de ce collaborateur au carnet d'adresses bien fourni : "En Corée, il est toujours reconnu comme un grand industriel, il a une bonne image. Je crois qu'on le diabolise un petit peu. Pour moi, c'est un type qui a créé plus d'un million d'emplois."


Les ex-Daewoo de Lorraine espèrent un procès rapide de Kim Woo-Choong

METZ, 9 mars 2005 (AFP)

Les ex-salariés des trois sites lorrains de Daewoo, fermés il y a deux ans, espèrent que Kim Woo-Choong, l'ex-PDG en fuite du groupe sud-coréen, qui fait l'objet depuis 2001 d'un mandat international délivré par Séoul, sera rapidement traduit en justice par la France.

"Je ne suis pas surprise qu'il ait refait surface en Alsace, nous savions déjà que M. Kim, qui a obtenu sa naturalisation française en 1987, avait une villa à Nice", a déclaré à l'AFP mercredi Isabelle Bany, secrétaire générale du syndicat CGT de Longwy, après l'annonce que M. Kim travaille depuis 18 mois comme conseiller de Lohr, un groupe de matériel de transport basé en Alsace.

"Il faut désormais qu'il soit rapidement traduit devant la justice française", a ajouté celle qui fut l'égérie de la lutte des Daewoo, tout en reconnaissant que ce ne sera pas chose facile, "compte tenu des soutiens au plus haut niveau de l'Etat français dont M. Kim a bénéficié". La France, qui n'extrade pas ses propres ressortissants, peut en revanche décider d'entamer elle-même des poursuites.

"Il serait inacceptable que l'ex-PDG n'ait pas de comptes à rendre à la justice alors que ses salariés, qui n'étaient coupables de rien, ont payé", a estimé de son côté Maryline Quaglia, en charge du dossier Daewoo pour la CFDT lorraine.

Après la faillite retentissante du groupe Daewoo à la fin des années 1990, la justice sud-coréenne avait lancé un mandat d'arrêt international, via Interpol, contre Kim Woo-Choong, accusé d'avoir détourné à son profit des millions de dollars et d'avoir organisé l'une des plus grandes fraudes comptables du monde en surévaluant la valeur de son conglomérat.

Sa trace n'a jamais été retrouvée, même si de source proche du dossier, l'ex-PDG de Daewoo, qui a fui la Corée du sud en 2000, a été localisé en 2001 dans le quartier huppé de Fabron, à Nice où il aurait possédé une villa.

Des responsables judiciaires à Séoul ont indiqué mardi que M. Kim serait arrêté s'il revenait dans son pays, émettant en revanche des doutes sur les déclarations du patron du groupe Lohr, selon lesquelles M. Kim se rendrait "assez souvent" dans son pays.

La faillite de Daewoo s'est traduite par la fermeture, fin 2002-début 2003, de ses trois sites lorrains situés respectivement à Villers-la-Montagneemplois), Fameck (300 emplois) et Daewoo Orion à Mont-Saint-Martinemplois). Le groupe sud-coréen avait bénéficié d'aides importantes tant de l'Etat que de la région pour s'implanter sur ces trois sites.

"Nous veillerons, a précisé Mme Bany, à ce que les ex-salariés de Daewoo, dont la plupart n'ont pas encore retrouvé d'emplois stables, bénéficient des retombées d'éventuels dédommagements" accordés à l'issue d'un procès de l'ex-PDG.

(c) 2005 AFP